Mais elle était femme et elle s’arrêta à un autre projet qu’elle envisagea finalement avec satisfaction et qui lui rendit son calme. La fillette étant en effet plus calme et paraissant mieux, elle résolut d’aller à la soirée. Elle trouva qu’il n’y avait rien de sérieux dans l’état de l’enfant et observa que, si Hanna restait chez elle, elle n’y gagnerait rien et perdrait tout d’un autre côté. Le désir du roi de la rencontrer n’étant pas satisfait, elle pouvait prédire qu’il serait blessé et renoncerait à elle pour toujours. Mais survint ensuite l’aide de camp de Sa Majesté, apportant au nom du roi un bouquet pour la soirée. Sa Majesté serait inconsolable si vous manquiez à la soirée. Et puis Yves lui montra ses trésors : des brins de réséda, des fleurs, précieusement encadrés sous verre, avec des dates ; des bouts de ruban, des lettres, et enfin, dans un médaillon grand comme un reliquaire, la longue mèche de cheveux qu’elle lui avait donnée. Enfin, le problème fut résolu et les ciseaux de madame Victorine, la déesse de la mode dont les mains créatrices, quand elle était de bonne humeur, pouvaient changer en beautés conquérantes des beautés à peine passables, se mirent à l’œuvre ainsi que les aiguilles de ses muettes esclaves obéissantes.
Jour et nuit elle restait auprès d’elle ; si elle voulait surmonter le sommeil, elle pensait à Andor et elle se sentait alors redressée comme par une main de fer. « Je montrerai à Andor qu’une femme peut être forte et grande, » telle était la pensée qui excitait sans cesse Hanna. Elle désirait prouver à Andor qu’une femme n’est pas toujours petite, qu’elle peut aussi être grande. De sa main forte et douce en même temps, elle introduirait de grandes améliorations. Elle voulait régner, voir soumis à sa volonté un grand pays, un peuple cultivé et puis agir avec bonté, noblement. Un homme savant du païs, entretint M. de Montaigne ; & entre autres choses, de ce que les habitants de cette ville ne soint, à la vérité, guierre affectionnés à notre Cour ; de maniere que toutes les deliberations où il s’etoit trouvé touchant la conféderation avec le Roy, la plus grande partie du peuple estoit toujours d’avis de la rompre : mais que par les menées d’aucuns riches, cela se conduisoit autremant. Il est assez démontré que lors de l’établissemént de l’empire, le peuple soumis aux loix dictées par Romulus, étoit un peuple de brigands & d’esclaves qui avoient secoué le joug.
Elle s’occuperait avant tout de faire un sort meilleur aux classes laborieuses, de mettre un frein à la tyrannie des princes de l’argent et des maîtres d’esclaves de fabrique. Hanna commença alors à hésiter ; mais elle évoqua la pensée d’Andor et cela lui donna de nouvelles forces. Hanna envoya chercher aussitôt le médecin de la maison, qui constata une forte inflammation des poumons. Notre arrivée sera donc une surprise. Madame de Kronstein saisit les deux mains de la nouvelle arrivée et l’embrassa deux fois sur la bouche. Puis, un matin, la nourrice entra dans le cabinet de toilette de la générale avec une figure sérieuse et la désagréable nouvelle que des symptômes d’une maladie grave se montraient chez l’enfant confiée à sa garde et souffrante depuis quelques jours. Tous les dix ans, si l’on en avait la curiosité, on retrouverait le malheureux dormant aux heures où il pourrait vivre, sortant aux heures où il n’y a guère rien d’autre à faire qu’à se laisser assassiner dans les rues, buvant glacé quand il a chaud, toujours en train de soigner un rhume. Il demanda à voir l’enfant, adressa quelques questions, examina et déclara enfin qu’il n’y avait pas le moindre danger à craindre.
Il fit le contraire de ce qu’il aurait dû faire et le fit avec un certain talent. Cela produit une confusion inextricable, d’où s’élèvent par moments des notes magnifiques, pas toujours celles qu’il faudrait. Elle qui jusqu’ici avait confié sa fillette à des mains étrangères se contentant de venir jouer un quart d’heure avec elle comme une poupée, ne permettait plus à personne de la toucher. Hanna quitta l’enfant dont l’état empirait d’heure en heure pour envoyer une lettre d’excuses à madame de Kronstein. D’heure en heure la fillette était plus tranquille et, vers le soir, elle s’était endormie du paisible sommeil d’un ange. La nourrice, étonnée, la regardait la bouche ouverte, mais elle ne disait rien. Elle soupira, leva les mains au ciel, s’essuya même les yeux avec son mouchoir en dentelles et dut se retirer sans avoir obtenu ce qu’elle voulait. Son intention n’était pas de se moquer de lui avec cruauté ; elle se proposait seulement d’enlever à ses faibles mains les rênes du gouvernement.